Perle de lecture... Son visage et le tien
- 1 mai 2018
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Ce jour là me perdis sur les crêtes, passait des forêts sèches, et entrai dans un village que je ne connaissais pas, un village de pierres blanches, désert comme sont les villages à cette heure-là, et au milieu s’élevait une église romane massive, presque sans ouvertures, comme taillée dans un seul roc. Dans cet état d’éblouissement et d’assourdissement voulu où je m’étais mis, ruisselant de sueur, j’eus l’idée qu’elle pouvait contenir, cette masse de pierre immobile, une grotte pleine d’ombre et de silence. J’entrai.
L’ombre fraîche me fit frissonner et tout s’arrêta. Mon corps à qui je cherchais noise dans ce brusque silence se ralentit et se tut. Le silence était parfait. Un lueur douce glissait par les ouvertures étroites, effleurait les murs nus et leur donnait un calme d’éternité géologique, ce qui pour nous, être animés, trop agités, trop vite perissables, se confond avec l’éternité tout court…. Je m’assis sur un des bancs, et m’asseoir, ce fut plonger d’un coup dans un grand silence, silence d’église redoublé du silence de mon corps, mais silence vivant, qui ne faisait pas disparaître la présence. Je bus ce vide heureux comme une eau vivifiante. Le vide bruissait, il était tout imprégné d’un être profond qui n’avait nul besoin d’en dire plus, et son silence était tout empreint de paroles avant qu’on les prononcent… J’y restais longtemps assis ; j’en concevais un bonheur tellement grand qu’il n’avait pas de limite, un bonheur immense, vraiment. J’étais là et mon esprit flottait autour de mon corps calmé….
Qu’avais-je trouvé dans cette église romane du Mâconnais ? J’y avais trouvé ce pour quoi elle avait été faite. Un moment de présence pure, où vide et silence me laissaient être, où j’avais tout le temps et toute la place d’être, comprenant quelque chose que je ne savait avant de venir là, car jamais je ne pensais écouter le vide. Le vide permet ce que le rempli ne permet pas ; il est trop occupé. Le vide n’est pas rien ; c’est même l’état des choses avant tout. Le silence n’est pas vide, pas plus que le vide est silencieux. J’entendis ce qui donne vie, ce qui est en moi et en dehors de moi, partout, j’entendis ceci que seul l’épuisement, et le refuge un instant dans ce cocon de pierre, m’avaient fait entendre.
Ceci que j’écoutais, savait me parler et je savais lui parler, même s’il n’y avait rien à dire ; ceci était à mon image et j’étais à son image, même s’il n’est pas besoin de dessiner. C’était là, mouvement immobile, murmure muet, toujours présent sans que je sache où. C’était moi-tout-autre-que-moi, matrice de ma propre vie et de toute vie, qui était forme de vie et j’en étais l’image.. Et ceci m’était bienveillant, à moi personnellement comme à tous, et je lui en étais reconnaissant.
Le vide est habité, pour peu qu'on l'écoute. Le vrai cauchemar c'est le plein....
Seul le vide laisse place et permet la vie.
in "Son visage et le tien" Alexis Jenni - éd. Albin Michel
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